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Politique

Le pouvoir algérien et les BRICS de façade

À l’occasion du Sommet de Johannesburg du 22 au 24 août dernier, l’expansion des BRICS était sur toutes les lèvres. Six nouveaux pays sont finalement invités à rejoindre ce club : l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. Le pouvoir algérien, qui a cru devoir faire de cette « adhésion » une priorité nationale, se retrouve finalement écarté.

Les opinions publiques du monde « non-occidental » (car c’est d’abord par cette négation qu’il est possible de définir cette plateforme) ont fini par voir dans les BRICS l’expression d’un ordre international alternatif, le triomphe du non-alignement ; pour les plus enthousiastes, l’émergence d’un monde post-capitaliste, ou encore l’hypothèse d’un post-impérialisme. Dans ces conditions, l’arrivée à la tête de sa Nouvelle banque de développement de l’ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff, et les perspectives d’élargissement offertes par le Sommet de Johannesburg, peuvent difficilement laisser indifférent.

Les BRICS, un mot d’ordre avant tout

Les BRICS, qui sont un forum qui vient s’ajouter à une multitude d’autres forums auxquels participent le plus souvent ses membres, sont avant tout un mot d’ordre sur le plan géopolitique et une vague ambition sur le plan économique – les deux sphères étant, bien sûr, inextricables.

Le mot d’ordre, cher à la Russie postsoviétique et à la Chine, est la multipolarité. Une lecture prudente de la promotion d’un monde multipolaire permet de rappeler qu’il n’est pas ici question de se débarrasser de l’idée de puissance, mais d’affirmer que plusieurs puissances doivent être considérées comme telles.

Pour ce qui est de l’ambition économique, elle a trait à des niveaux de croissance encore très élevés pour des pays comme la Chine et l’Inde, à l’attractivité économique chinoise en particulier (partenaire commercial et technologique incontournable), aux rêves d’une « dédollarisation » du monde, non sans lien avec la volonté de se protéger des sanctions émanant de Washington et de ses principaux alliés européens.

Ce volontarisme se heurte néanmoins à des apories. D’abord, parce que les BRICS ne sont pas un obstacle à une mondialisation triomphante, mais une nouvelle illustration de celle-ci. En effet, si le groupe a été parfois raillé (« de BRICS et de broc », « BRICS-à-brac » …), c’est parce qu’il tourne le dos à toute cohérence géographique (dans un souci de représentativité globale) et même politique. Les tensions entre la Chine et l’Inde perdurent et il suffit d’une alternance politique (s’agissant des régimes plus ou moins démocratiques), comme on l’a vu au Brésil avec l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro (2019-2023), pour que le mot d’ordre initial soit bousculé. Certes, d’un point de vue économique, le Brésil de Bolsonaro n’avait pas intérêt à tourner le dos à Pékin, mais tenir tête à Washington était loin d’être sa priorité. Par ailleurs, l’urgence environnementale – et les tensions dont elle est porteuse –  n’est pas véritablement prise en main par les BRICS.

Ensuite, parce qu’au-delà des conjonctures politiques, l’existence d’un mot d’ordre n’est pas synonyme d’une doctrine commune. Si ces pays partagent une volonté d’autonomie à l’égard de Washington et une propension à préférer les partenariats de circonstance aux alliances contraignantes, ils ne partagent pas le même niveau de conflictualité avec ce monde « occidental » auquel ils tiennent tête : certains d’entre eux, et c’est encore plus le cas avec les pays récemment invités, conservent des relations privilégiées avec les puissances états-unienne et européennes. Dans un Moyen-Orient qui semble avoir tourné la page des soulèvements populaires des printemps arabes au profit d’une flexibilité et d’une convergence des autoritarismes, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte entendent consolider leurs relations avec Moscou et Pékin, sans sacrifier leurs relations avec Washington et leurs principaux interlocuteurs européens.

Les BRICS sans l’Algérie, un sens malgré tout

Une fois ces nuances nécessaires apportées, on ne peut pas nier que le Sommet de Johannesburg et l’invitation des six nouveaux pays (l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran) ont un sens. Pour Moscou, ils viennent confirmer le contexte qui a suivi l’invasion de l’Ukraine : la Russie est isolée en Europe, mais elle ne l’est pas à l’échelle mondiale. À bien des égards, cela rappelle l’attitude de l’OPEP en octobre 2022, lorsque l’organisation a préféré tenir tête à Washington en baissant drastiquement ses quotas de production, en accord avec Moscou. Les deux événements illustrent une soif d’autonomisation davantage qu’un renversement d’alliances.

Incidemment, l’absence remarquée de l’Algérie a un sens aussi. Un sens qu’il faut bien chercher dans un brouillard d’arbitraire et de malentendus (entre « candidatures » insistantes, comme dans le cas algérien, et « invitations » étudiées par le pays concerné, comme dans le cas saoudien). Pour atténuer la dimension arbitraire, le ministre russe des Affaires étrangères a in fine énuméré quelques critères on ne peut plus subjectifs : une croyance dans la multipolarité, la nécessité de renforcer le « Sud », le poids et l’autorité du pays candidat …

Si on s’intéresse spécifiquement au cas algérien, et dans la mesure où le président Abdelmadjid Tebboune a fait de cette adhésion sa grande promesse politique (ce qui explique l’ampleur des réactions), deux niveaux d’analyse s’imposent. Un niveau qu’il est possible de qualifier d’objectif et un niveau communicationnel.

« Objectivement » donc, l’invitation/l’adhésion de chacun des six pays peut s’expliquer : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont deux acteurs utiles pour Moscou et Pékin, en tant qu’importantes sources de financements et potentiels outils de contournement des sanctions ; l’Argentine s’ajoute au Brésil comme puissance – hispanophone cette fois – d’Amérique latine ; l’Égypte est la principale économie d’Afrique du Nord ; l’Iran est une puissance régionale active aussi bien au Proche-Orient qu’en Asie centrale ; enfin, l’Éthiopie (le seul des six pays à avoir un produit intérieur brut inférieur à celui de l’Algérie) est une puissance démographique d’Afrique de l’Est, avec une croissance économique soutenue.

Ces critères valent ce qu’ils valent, mais ajouter l’Algérie n’aurait fait qu’exacerber la surreprésentation du monde arabe dans les BRICS sans motif « objectif ». Car l’économie rentière de l’Algérie en a fait un simple client des grandes puissances, davantage qu’un partenaire. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Algérie exporte beaucoup moins vers la Russie que ses voisins marocain et tunisien, ce qui vient illustrer la faiblesse de son économie, minée à la fois par la surreprésentation du secteur des hydrocarbures, et par l’opacité et la gabegie.

Mais le pouvoir militaire algérien n’est pas là pour construire une économie solide. Il est là pour survivre et cela le pousse à faire de la politique étrangère un outil de politique intérieure à deux niveaux : en se rendant utile à toutes les grandes puissances et en vendant à l’opinion publique algérienne le récit d’une Algérie apte à intégrer un club de « puissances », de préférence « anti-impérialiste ». Et quand cela ne fonctionne pas, forcément, il faut un complot – hypothèse dont la presse algérienne proche du pouvoir est friande, tandis que les journalistes et les chercheurs peuplent les prisons –, à l’instar du veto indien commandé par le « couple israélo-marocain ». En réalité, le pouvoir algérien a quelque chose à offrir à chaque grande puissance : il ouvre le marché algérien aux produits chinois et aux entreprises chinoises du BTP, il se fournit allègrement en armes russes et il tend la main aux entreprises américaines pour l’exploration, l’exploitation et le développement des hydrocarbures en Algérie.

Ce triste constat n’est pas populaire, mais tel est le destin d’un régime qui tente en vain de substituer à une légitimité intérieure un prestige extérieur fantasmé, la communication à la réalité.

À l’image des BRICS, le pouvoir algérien tourne le dos à toute ambition régionale sérieuse – lui préférant les sirènes des réseaux de « puissances ». Hormis la tentative de vassalisation de la Tunisie, le pouvoir algérien a aujourd’hui bien peu à offrir à l’échelle du Maghreb et du Sahel. Le cas du Maroc est d’ailleurs symptomatique. Le Maroc tourne aussi le dos à la région et au multilatéralisme s’agissant de la question sahraouie, n’hésitant pas à tendre la main aux dirigeants israéliens les plus extrémistes et à présenter la Kabylie comme un dossier comparable au dossier sahraoui, sans fondement et en réponse au soutien algérien au Front Polisario. Il a, d’ailleurs, des réflexes analogues à ceux du pouvoir algérien vis-à-vis des grandes puissances : conserver de bons liens avec Washington, sans pour autant mécontenter Moscou.

Mais c’est en grande partie parce que l’Algérie a renoncé à être une puissance régionale – le pouvoir algérien préférant les surenchères à des fins de politique intérieure à une réelle diplomatie – que les deux pays en sont là. Un pouvoir préoccupé par sa survie a tendance à tourner le dos à sa propre population (et à la réprimer) et à son environnement régional, et à se contenter du statut de client des puissances lointaines, qu’il finit par confondre avec un statut de « puissance ».

Face à cette triste réalité, seul le retour de l’esprit d’espièglerie qui caractérisait le Hirak (où il était question de souveraineté populaire et non d’adhésion au BRICS), avec les nombreuses réactions moqueuses des internautes algériens, a quelque chose de rassurant. L’humiliation subie par le pouvoir algérien aura peut-être le mérite de rappeler à l’Algérie que ceux qui se sont imposés à sa tête ne sont pas plus crédibles à l’extérieur qu’à l’intérieur.

En définitive, cette pantalonnade vient rappeler la grande contradiction qui caractérise les dirigeants algériens : ils quémandent un statut de « puissance » (qui leur est refusé), tout en réprimant la moindre contestation et en la faisant passer pour une menace existentielle, rappelant ainsi toute leur impuissance.

Adlene Mohammedi

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