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Billets d'humeur, Politique

Algérie : la diversion identitaire contre la souveraineté populaire

Parmi les multiples ruses du pouvoir algérien depuis le déclenchement du Hirak en février 2019, la diversion identitaire tient une place de choix. En jouant la carte des débats intempestifs, parallèlement à une répression méthodique et perverse, les dirigeants algériens veulent noyer le mouvement populaire algérien dont la revendication est claire : en finir avec le régime cryptocratique et le règne de l’arbitraire.

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Femmes d’Alger dans leur appartement, Eugène Delacroix

 

Le pouvoir algérien n’est plus aussi désemparé qu’au printemps 2019. Le soulèvement populaire algérien a révélé son impotence politique. Mais comme sa police, qui s’est largement formée en réprimant les manifestants au fil des semaines et des mois, le régime algérien a affûté sa contre-révolution. A défaut d’améliorer la gestion de l’État (on a rarement vu des dirigeants formels aussi ostensiblement médiocres), le pouvoir algérien semble renforcé – et la bienveillance dont il jouit sur la scène internationale y est pour quelque chose – dans son bras de fer avec la majorité qui souhaite le renverser. L’actuelle pandémie et les mesures de confinement lui ont permis d’échapper à de nouvelles manifestations massives et de multiplier les arrestations (qui s’apparentent à des enlèvements) d’opposants, de journalistes et d’anonymes.

Comme nous avons affaire à une dictature militaire qui ne conçoit le droit que comme un outil de répression parmi d’autres (et certainement pas comme un cadre cohérent), les motifs invoqués cachent mal le règne de l’arbitraire. L’opposant Karim Tabbou, ancien député et personnalité phare du Hirak [mouvement populaire], a été enlevé en septembre 2019 pour « atteinte au moral de l’armée » (pour avoir critiqué le rôle extraconstitutionnel du chef d’état-major et déploré la primauté du militaire sur le civil). D’abord condamné à six mois de prison avec sursis, une nouvelle condamnation en appel (à un an ferme) l’a empêché de retrouver les siens en mars dernier. Quelques jours plus tard, le journaliste Khaled Drareni est enlevé et emprisonné pour « incitation à attroupement ». Aujourd’hui, c’est au tour de la militante (et médecin) Amira Bouraoui. En dépit d’une constitution censée protéger la liberté d’expression, on lui reproche, entre autres, une « incitation à attroupement », une « offense au président » (que personne n’a élu), ainsi qu’à la religion musulmane.

C’est dans ce contexte de répression méthodique et perverse que le pouvoir algérien se permet de multiplier les diversions : quand il n’orchestre pas un simulacre de tension diplomatique avec la France pour quelques malheureux documentaires (insuffisamment sévères avec le régime algérien, en réalité), il impose un faux débat autour d’une fausse réforme constitutionnelle (puisque la constitution et le droit n’ont strictement aucune valeur comme tels en Algérie) façonnée par une poignée d’experts serviles. Une constitution clandestine imposée par un pouvoir clandestin ne peut être « réformée » que clandestinement. Le but est clair : susciter des polémiques stériles sans lien avec les revendications exprimées par les Algériens dans le cadre du Hirak. Pour cela, il peut compter sur un journalisme d’affaires courantes et un triste climat d’indulgence.

L’identité contre la souveraineté

Ironiquement, beaucoup de ceux (y compris parmi les partisans du Hirak) qui prétendent que « ce n’est pas le moment » d’aborder certains sujets qui divisent (le statut des femmes, la sexualité, la religion, etc.) n’hésitent pas à tomber dans tous les pièges tendus par le pouvoir algérien. Comment peut-on, par exemple, débattre de la constitution algérienne quand on sait qu’elle ne reflète nullement la nature du pouvoir algérien (ni présidentiel ni parlementaire, mais cryptocratique et militaire) ? Nous ne le dirons jamais assez : le pouvoir algérien ne doit pas être pris au sérieux pour ce qu’il propose (des distractions), mais pour ce qu’il est (un obstacle à une vie normale).

Pour anesthésier le Hirak et diviser les Algériens, le pouvoir compte sur la rhétorique identitaire. En somme, il joue l’identité contre la souveraineté. Un classique. Et sa énième mise en valeur de l’amazighité dans cette « réforme constitutionnelle » (procédé cynique quand on sait que ce pouvoir a tabassé et emprisonné pour un drapeau amazigh) ne sert qu’à diviser les Algériens sur une base identitaire afin de les empêcher de s’unir sur une base politique. C’est ainsi qu’il faut comprendre le débat sur l’arabité et l’amazighité, l’instrumentalisation de l’islam, les attaques contre la langue française, l’agitation de la « main étrangère » …

Pendant que des innocents croupissent en prison et pendant que la corruption et la médiocrité sont confortées à la tête de l’État, débattre de l’appartenance (ou non) de l’Algérie au monde arabe est la dernière chose dont les Algériens ont besoin. Une révolution permet de se débarrasser d’un régime illégitime, mais elle ne permet certainement pas de trancher définitivement une question identitaire. La souveraineté populaire se conquiert, mais l’identité se constate.

Adlene Mohammedi

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