Après trois ans d’attente, Donald Trump a fini par révéler, le 28 janvier dernier, sa « vision » pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. Une vision biaisée qui pourrait bousculer les termes de la question palestinienne.
Le plan de Donald Trump rompt avec les précédentes politiques et initiatives de paix américaines au Moyen-Orient essentiellement dans le sens où elles ont toutes eu pour principe un accord négocié par tous les acteurs du conflit. Les Palestiniens n’ont même pas été consultés cette fois. Il leur est juste demandé d’accepter, dans un délai de quatre ans, une solution brutale qui ne répond qu’aux revendications du gouvernement Netanyahou et qui méprise tous leurs droits et revendications historiques.
Le plan Trump s’inscrit toutefois dans la continuité des décisions déjà prises par son administration : la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la légalité des colonies, l’arrêt du financement de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) et de l’aide à l’Autorité palestinienne, ainsi que la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan syrien. Il confirme les politiques israéliennes d’occupation et de colonisation menées depuis les accords d’Oslo. Israël conserverait donc le contrôle des questions sécuritaires, des frontières, des espaces aériens et maritimes, ainsi que de la population palestinienne.
« L’accord du siècle » prévoit également la création d’une entité palestinienne démilitarisée, sans continuité territoriale et sans souveraineté et l’annexion unilatérale par Israël d’environ 30% de la Cisjordanie dont la quasi-totalité des colonies existantes et de la vallée stratégique du Jourdain.
Aucun réfugié ne serait autorisé à revenir en Israël et leur retour en territoire palestinien serait restreint, dépendant du bon vouloir des Israéliens. Les compensations pour la perte de leurs biens n’est que vaguement mentionnée.
Le plan Trump maintient Jérusalem comme capitale indivisible de l’État d’Israël. La capitale du nouvel « État » – « qui pourrait être appelée al-Quds » – se trouverait de l’autre côté du mur de séparation, dans les localités d’Abu Dis, de Kafr Aqab et dans une partie du camp de réfugiés de Shuafat.
Quant au volet économique annoncé à la conférence de Manama en juin 2019, qui comporte un versement de 50 milliards de dollars, il est peu crédible dans la mesure où un territoire ne peut se développer et prospérer sous occupation militaire.
Rejet palestinien
Sans surprise, les Palestiniens ont rejeté ce plan « dans les poubelles de l’histoire », selon l’expression de Mahmoud Abbas et plusieurs manifestations ont éclaté à Gaza et en Cisjordanie. L’Autorité palestinienne a annoncé rompre tout contact avec les États-Unis et Israël, y compris en matière de coopération sécuritaire, une menace déjà brandie par le passé mais jamais exécutée.
Déjà fortement contestée pour sa faiblesse ou encore sa corruption, l’Autorité joue aujourd’hui sa survie. Face à ce plan, le processus de réconciliation entre le Fatah, le Hamas et les autres factions palestiniennes a été relancé dans l’espoir de dépasser de profondes divisions et de présenter un pouvoir unifié. En revanche, sur la scène internationale, M. Abbas reprend une stratégie classique de conciliation. Il a appelé à une « conférence de paix » devant le Conseil de sécurité des Nations unies et réaffirmé son attachement à la solution à deux États dans les frontières de 1967.
Il a reçu le soutien de l’Organisation de la coopération islamique et de l’Union africaine et la Ligue arabe, réunie à sa demande, a émis un communiqué rejetant à l’unanimité les propositions américaines. Toutefois, cela ne peut suffire à masquer le silence pesant des régimes arabes et leurs divisions.
La question palestinienne en danger
Plusieurs pays – comme la Syrie, l’Algérie, le Liban, la Tunisie, l’Irak ou la Jordanie, directement concernée par l’annexion de la vallée du Jourdain – se sont bien opposés au « plan » sans détour, mais leurs déclarations sont plus formelles que significatives.
Avec la multiplication des crises et des conflits intérieurs et régionaux, la « question palestinienne » n’est plus une priorité pour les pays arabes. La guerre syrienne et les divisions qu’elle a suscitées (y compris chez les Palestiniens) ont porté un coup à cette cause historique du panarabisme. Désormais, plusieurs régimes ne cachent plus leur dédain à l’égard des Palestiniens.
Ainsi, en partie à cause de la menace commune que représenterait l’Iran dans la région, certaines pétromonarchies ont préféré ces dernières années renforcer leurs liens avec Israël, malgré les excès du gouvernement Netanyahu, et avec Washington, dont elles dépendent partiellement en matière de sécurité. En témoignent la présence des ambassadeurs de Bahreïn, d’Oman et des Emirats arabes unis à la Maison-Blanche le jour de la présentation de « l’accord du siècle » et les réactions des Saoudiens ou des Qataris qui ont « apprécié à leur juste valeur les efforts » américains.
Seul pays arabe avec la Jordanie à avoir signé un accord de paix avec Israël et contribuant activement au blocus de la bande de Gaza où elle construit actuellement un mur de séparation, l’Egypte a, quant à elle, appelé les deux parties à un « examen attentif et approfondi » du plan. Avec cette déclaration, elle ne prend pas le risque de fâcher les États-Unis dont elle dépend financièrement et avec lesquels elle coopère militairement dans le Sinaï, ni de remettre en cause ses accords commerciaux avec Israël.
Le Maroc s’est distingué du reste du Maghreb en prenant une position pour le moins ambiguë. Il s’est engagé à « examiner en détail » le plan Trump qu’il « a suivi avec intérêt » tout en réaffirmant ses positions sur Jérusalem et sur le respect des droits des Palestiniens. Selon la chaîne israélienne Channel 13, le Maroc aurait choisi de ne pas s’opposer à cet « accord du siècle » et de renouer officiellement avec les Israéliens en échange d’une reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental.
Bien que ces pays se soient exprimés avec prudence, pour ne pas risquer de mécontenter leurs opinions publiques qui soutiennent toujours la lutte des Palestiniens, on y observe déjà des critiques et des positions divergentes. Ainsi, des milliers de personnes ont manifesté au Maroc contre le plan américain, et au Soudan, le gouvernement civil s’est opposé au Conseil souverain militaire qui, pour « préserver la sécurité nationale », a décidé d’entamer « une coopération qui normalisera les relations » avec Israël.
Face à ces divisions arabes et aux soutiens polis de la communauté internationale qui se contente simplement de réaffirmer son attachement au droit dans un monde où la force l’emporte, les Palestiniens se retrouvent une fois de plus isolés et contraints de se réinventer puisqu’ils sont dans l’impossibilité de pouvoir négocier une solution politique.
L’hypothèse d’un retour à la lutte armée des Palestiniens ne peut être exclue en dépit de leur lassitude. Actuellement sous-estimées, il existe toutefois pour eux d’autres formes de mobilisation à exploiter : le développement des initiatives citoyennes nationales (à l’instar de la « Grande Marche du Retour ») et transnationales, le renouvellement des discours et des plateformes pour défendre des alternatives politiques au « Plan » et à l’occupation, en Israël et à l’étranger, ou encore la recherche de nouveaux alliés parmi les puissances émergentes.
Malha Bentaleb
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