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Politique

Yémen : Du bourbier militaire à l’impasse politique

Texte rédigé en mai 2023 et initialement publié dans les revues Moyen-Orient (no 59, juillet-septembre 2023) et Carto (no 78, juillet-août 2023). Il s’agit d’une courte synthèse portant essentiellement sur l’année écoulée au Yémen.

Porte de Sanaa, avec des slogans houthis anti-américains et anti-israéliens. Par Khaled Al-Khaled, août 2023

En un peu plus d’un an, depuis l’annonce d’une trêve et la mise en place d’un « Conseil présidentiel » (avril 2022) destiné à représenter le camp « loyaliste » et anti-houthi, la volonté d’en finir avec la guerre est plus manifeste que jamais, tandis que la situation humanitaire demeure catastrophique et les contours d’une solution politique pérenne semblent difficilement identifiables.

En février dernier, les Nations unies ont indiqué avoir besoin de 4,3 milliards de dollars pour venir en aide à plus de 17 millions de Yéménites au bord de la famine, tout en précisant que plus de 21 millions de personnes, soit deux tiers de la population du pays, auraient besoin d’aide humanitaire et de protection en 2023. Telle est la situation matérielle du pays après plus de huit ans de guerre.

Mais c’est la perspective d’une fin durable des hostilités qui concentre l’attention. L’échec de la guerre saoudienne contre les Houthis et la volonté de Riyad de sortir de ce qui s’apparente à un bourbier sont désormais une évidence. Le 7 avril 2022, un Conseil présidentiel voulu par l’Arabie saoudite – destiné notamment à rassurer les Émirats arabes unis et leurs alliés et, en apparence, à réorganiser le front anti-houthi – est créé au détriment du président Abdrabbo Mansour Hadi.

Dans les faits, au lieu de renforcer le camp dit « loyaliste », ce Conseil a connu un affaiblissement à plus d’un titre. Deux principaux facteurs, l’un interne et l’autre externe, ont concouru à son effacement. D’un côté, sa diversité – au nom d’un objectif de représentativité politique et territoriale – a fini par déboucher sur sa neutralisation : des réflexes tribaux et régionalistes (Sultan al-Arada s’est davantage comporté en gouverneur de Marib qu’en membre du Conseil présidentiel, par exemple) à l’insurmontable tentation séparatiste (les séparatistes sudistes, en dépit de leur participation au pouvoir « loyaliste », se sont systématiquement démarqués de celui-ci).

De l’autre, le parrain saoudien qui l’a créé n’a pas hésité in fine à le marginaliser. Au-delà de la trêve conclue en avril 2022 – qui n’a pas été formellement prolongée, mais qui demeure globalement respectée par toutes les parties –, des négociations entre l’Arabie saoudite et les Houthis (avec une médiation omanaise) ont lieu au grand jour : du 8 au 13 avril 2023, une délégation saoudienne présidée par l’ambassadeur s’est rendue à Sanaa, aux côtés des médiateurs omanais. Dans la foulée, le Comité international de la Croix-Rouge a annoncé la libération et le rapatriement au Yémen et en Arabie saoudite de « 973 personnes détenues en lien avec le conflit ».

En somme, petit à petit, au cours de l’année écoulée, Riyad a délaissé l’illusion d’un « front uni » anti-houthi au profit d’une porte de sortie. Désormais, l’objectif de Mohammed ben Salmane (MBS) est d’en finir avec la guerre au Yémen. Dans sa volonté de passer pour un « pacificateur » à l’échelle régionale, voire mondiale, il entend donner à l’Arabie saoudite le rôle de puissance médiatrice. Il s’agit d’une ruse politico-juridique : en considérant le conflit comme une guerre civile (à laquelle Riyad aurait simplement participé à la demande du gouvernement « légitime », en exil à Riyad [sic]), l’Arabie saoudite entend faire oublier son rôle de belligérant – que ne manquent pas de lui rappeler ses adversaires.

Enceinte de l’ancienne ambassade saoudienne, avec le slogan d’Ansar Allah (mouvement houthiste). Par Khaled Al-Khaled, août 2023

En dépit de l’apaisement régional (l’accord saoudo-iranien), c’est la concurrence au sein de l’axe Riyad-Abu Dhabi qui saute aujourd’hui aux yeux. Il y a un an, Riyad voulait ménager Abu Dhabi en écartant Hadi et un personnage comme Ali Mohsen al-Ahmar (l’aile islamiste du pouvoir « loyaliste »). Aujourd’hui, les alliés yéménites d’Abu Dhabi (les séparatistes sudistes) continuent de défier l’autorité – toute relative – du Conseil présidentiel que parraine l’Arabie saoudite. Finalement, en un an, un pas a été fait en ce qui concerne la légitimation par Riyad du mouvement houthiste, mais la question séparatiste et la concurrence saoudo-émirienne sont prégnantes.

Les négociations sont en cours, certes, et même s’il reste quelques points de divergence (le statut de « médiateur » de Riyad, la levée totale du blocus, les compensations financières demandées par les Houthis …), la fin des hostilités semble accessible. Seulement, la résolution politique pérenne est loin d’être acquise.

D’abord, parce que les Houthis demeurent une réalité avant tout nord-yéménite. Et même dans l’ancien Yémen du Nord, les populations qui leur sont hostiles demeurent nombreuses et elles ne se soumettent à leur joug que du fait d’un système autoritaire, voire policier, rendu possible en grande partie par la guerre.

Ensuite, parce que la question territoriale se pose avec une certaine acuité. Si les Houthis sont une réalité nord-yéménite, l’ancien Yémen du Sud est dominé par les séparatistes. Une domination permise par le soutien émirien.

Enfin, car tout comme les Houthis et les séparatistes sudistes – aujourd’hui en position de force – étaient considérés comme les « perdants de l’histoire », des interrogations sur les possibles perdants de l’histoire qui se déroule se posent. Elles concernent des acteurs aussi différents qu’al-Islah (mouvement considéré comme la branche yéménite des Frères musulmans et bras armé du camp « loyaliste » à Marib) et le clan Saleh (représenté par Tareq Saleh, neveu de l’ancien président Ali Abdallah Saleh et actuel membre du Conseil présidentiel susmentionné), dont l’allié émirien domine le sud et l’histoire politique et familiale est au nord.

En définitive, lorsque les Houthis et les Saoudiens parviendront à un accord – quels qu’en soient les termes et les modalités –, plusieurs questions risquent de faire du Yémen le théâtre d’un conflit gelé succédant à une guerre meurtrière.

Khaled Al-Khaled et Adlene Mohammedi

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