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Livres, Politique

La face cachée des « révolutions arabes »

Araprism était présent à la conférence de presse du 6 décembre 2012 au Centre d’accueil de la presse étrangère (CAPE).

Grand Palais, Paris, 8e arrondissement.

Intervenants :

Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).

Anne-Marie Lizin, ancienne présidente du Sénat de Belgique.

Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie auprès de l’UNESCO.

Richard Labévière, journaliste.

Auteur : CF2R, sous la direction d’Eric DenécéÉditions : Ellipses, Paris

Auteur : CF2R, sous la direction d’Eric Denécé
Éditions : Ellipses, Paris

Éric Denécé insiste très tôt sur le caractère sérieux du travail derrière un titre quelque peu aguicheur. Il met l’accent sur des missions d’évaluation en Libye et en Syrie et sur le témoignage, l’analyse et le décryptage qui en ont résulté. Il insiste aussi sur la pluralité des auteurs –au-delà des trois présents autour de lui. 23 auteurs qui partagent le doute sur la théorie du bouleversement démocratique, 8 nationalités représentées et différentes familles politiques : d’Yves Bonnet, ancien député UDF et ancien directeur de la DST à Samir Amin, ancien économiste marxiste. Le cheminement de l’ouvrage est le suivant : d’abord une déconstruction des révolutions nationales ; ensuite une analyse des stratégies « cachées » ; enfin une interrogation sur l’avenir des pays concernés.

Mezri Haddad prend ensuite la parole. Cet ancien diplomate tunisien sait captiver l’attention par des formules assassines. Il ne cache pas une certaine nostalgie que ses adversaires pourraient facilement assimiler à de l’amertume. La formule « Révolution du Jasmin » lui inspire un certain mépris : « ce n’est pas viril ». Les « printologues » et les « jasminologues » (les spécialistes autoproclamés de la question) l’agacent d’autant plus qu’il récuse l’utilisation du concept de « totalitarisme » à la légère. Il reconnaît néanmoins que le régime tunisien était « autoritaire ». Il s’agissait, selon lui, d’un régime autoritaire qui misait sur une démocratisation graduelle. Il décrit Bourguiba comme un « despote éclairé » dont l’héritage serait menacé aujourd’hui par la « canaille islamiste ». Il n’est pas faux que les actuels dirigeants tunisiens ne semblent pas porter le premier président en haute estime. Et cette « révolution » alors ? D’abord, il n’aime pas les révolutions, même pas la Révolution française. Il leur préfère les réformes. Ensuite, il s’agit pour lui d’une crise avant tout sociale. Il donne l’explication suivante : les nombreux diplômés ne pouvaient pas être absorbés par l’économie tunisienne, et ne pouvaient bénéficier ni d’un accès à l’Europe ni d’une union maghrébine inexistante. Il compare cette crise à la crise de 1984 qui avait fait selon lui plus de morts sans susciter autant d’émoi. Mezri Haddad va jusqu’à décrire le renversement du régime de Ben Ali comme un « coup d’Etat » encouragé par des acteurs extérieurs. Qui ? Il ne fait aucun doute pour l’ancien ambassadeur que la Tunisie a pâti du « projet géopolitique » des « néoconservateurs » américains dont la première application fut l’invasion de l’Irak en 2003. L’objectif serait de remplacer des régimes autoritaires (et seuls les régimes républicains sont visés) par des régimes « islamo-impérialistes ». Il convient ici de nuancer son propos en rappelant que la Tunisie de Ben Ali était loin de constituer un pôle antiimpérialiste majeur. Au-delà d’Obama (« colombe aux ailes de faucon »), Haddad s’en prend à certains pays arabes : le Qatar et les appels à l’émeute d’al-Jazeera notamment. Et maintenant ? « Il n’y a plus de contrat social en Tunisie ».

Anne-Marie Lizin, et cela confirme la thèse de la pluralité, ne voit pas les choses de la même manière. Il s’agit bien de révolutions pour elle. Des révolutions qui n’empêchent pas une « méfiance féminine universelle ». Proche de la Ligue du Droit international des Femmes (LDIF), elle s’est intéressée particulièrement au cas des activistes au Bahreïn. En tant que Belge, elle dit connaître le poids de la monarchie et son rôle (parfois supposé) en cas d’instabilité. En tant que Belge, elle dit savoir aussi qu’une démocratie « ne peut se limiter au nombre ». Excroissance de l’Arabie saoudite ? Des points communs mais des espaces de liberté qui distinguent le Bahreïn de la puissance tutélaire. Une opposition chiite contrôlée par Téhéran ? Pour l’ancienne élue belge, le rôle de l’Iran est souvent exagéré car il s’agit d’un mouvement intérieur avant tout. Anne-Marie Lizin prône un « intérêt constructif » vis-à-vis du Bahreïn.

Pour Richard Labévière, ce livre est surtout la manifestation d’une prudence. Face à une « presse pressée » et une perte d’expertise dont souffrent tous les médias, la « déconstruction » qu’évoquait Jacques Derrida devient une nécessité. Lui aussi se montre sceptique devant l’utilisation abusive du terme « révolution » tant les différences avec les mouvements sandinistes qu’il a connus semblent flagrantes. Il rappelle que les mouvements sociaux sont récurrents, mais qu’il s’agit cette fois de « révolutions de palais ». Des clans qui ont perdu le soutien de l’appareil sécuritaire. Il fait remarquer par exemple que l’aide américaine allait de moins en moins vers l’armée et de plus en plus vers le clan Moubarak, ce qui ne pouvait que susciter un certain mécontentement. Pour Richard Labévière, la « dualité morale » des médias empêche des analyses fines et sérieuses. Côté américain, tout commence en 1945 avec la rencontre entre Ibn Saoud et Roosevelt (pétrole contre sécurité). Quand Nasser se rapproche des Soviétiques, les Américains n’hésitent pas à se rapprocher de plus en plus des Frères musulmans. En France, ces débats sont encore plus anciens : Labévière rappelle notamment la volonté de Clemenceau de faire émerger des États-nations dans le monde arabe s’inspirant des valeurs de la Révolution française au grand dam des défenseurs des chrétiens d’Orient. Après ces rappels historiques, ce journaliste qui connaît bien le monde arabe résume ainsi la stratégie des néoconservateurs américains : la société contre les États. Pourquoi s’attaquer aux États ? Pour affaiblir les États-nations arabes au profit d’une division et d’un morcellement, y compris en Syrie aujourd’hui.

Dans un contexte de troubles en Tunisie, en Égypte, en Syrie, au Liban, en Irak et dans certaines régions encore moins médiatisées, un discours plus libre et plus nuancé peut être salutaire.

Adlene Mohammedi

Discussion

2 réflexions sur “La face cachée des « révolutions arabes »

  1. Sans creuser et sans connaître ce Mezri Haddad, inutile de se demander où Monsieur le penseur était pendant les 25 années de benalisme…Je n’affectionne pas le terme de « jasmin » utilisés pour qualifier le révolution tunisienne (connotation touristique), mais pas pour les mêmes raisons que ce très évolué (ex?) fonctionnaire tunisien…pas assez « viril » à son goût…..qu’il retourne à sa grotte, peut-être y trouvera-t-il plus de testostérone et de puissance phallique ………….

    Publié par meryem | 4 mai 2014, 20 h 27 min
  2. s’agissant de la nature révolutionnaire du changement de régime en Tunisie selon Haddad : il considère qu’il s’agit d’une crise sociale, ni plus ni moins. Cependant, bien qu’il ne l’apprécierait pas, il se réfère tout de même à la Révolution française. On rappellera que la révolution française n’est ni plus ni moins une contestation de l’impôt auquel a été soumis le tiers-état. Qui a abouti à un renversement du régime monarchique. Il n’y a dès lors, au vu des arguments avancés par ce (ex?)fonctionnaire de dénier le caractère révolutionnaire à la Révolution tunisienne une crise sociale faisant exploser le régime CQFD…………….

    Publié par meryem | 4 mai 2014, 20 h 35 min

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