Georges Corm, éminent spécialiste du monde arabe et ancien ministre, est venu donner une conférence à l’IREMMO le 17 novembre dernier. L’occasion pour l’auteur du Proche-Orient éclaté de revenir sur les grandes étapes de la désintégration du monde arabe, exposées le 8 novembre dans le journal libanais Ennahar.
Araprism vous fait un compte-rendu de cette rencontre.
L’auteur commence par un conseil bibliographique tout à fait intéressant : Over-stating the Arab state de Nazih Ayubi. En travaillant sur huit pays, Ayubi s’attaque à la fois à la figure de l’Etat et au cadre politique et économique qui prévaut dans le monde arabe : de la formation des Etats à l’émergence de la société civile, en passant par les modes de production et les vagues de libéralisations.
En guise d’introduction, Georges Corm rappelle l’éviction subie par les Arabes dès le Moyen Age au profit des Mamelouks notamment. Cette éviction est vécue aussi bien en Andalousie qu’au Moyen-Orient. De ce point de vue, l’arrivée au pouvoir de Nasser en Egypte apparaît comme un retour de l’élément arabe.
En mêlant facteurs externes et facteurs internes, les étapes énumérées par Georges Corm résument assez bien les grands maux dont continue de pâtir le monde arabe à l’heure du califat improvisé en Irak et au Levant.
1/ Les premières divisions intellectuelles au sein d’un Empire ottoman moribond
Tandis qu’en Russie tsariste slavophiles et occidentalistes se faisaient face, les élites arabes de l’Empire ottoman connaissaient des débats analogues au XIXème siècle et au début du XXème siècle. D’un côté, des élites arabes anti-ottomanes –parfois occidentalistes– ; de l’autre, des partisans d’un panislamisme ottoman. Après la chute de l’Empire ottoman et l’abolition du califat en 1924, à ce débat s’est substituée une opposition entre l’islamisme et le nationalisme arabe.
2/ La montée des monarchies pétrolières
Georges Corm évoque ici une « victoire du désert sur la ville ». Autre référence bibliographique précieuse, Carbon Democracy de Timothy Mitchell. L’auteur y rappelle notamment l’utilisation d’un islam conservateur –notant l’évolution parallèle des Frères musulmans et de l’Arabie saoudite– destiné à marginaliser le nationalisme arabe. Georges Corm critique assez sévèrement l’idée même de « culture musulmane », et va jusqu’à citer un extrait du Coran qui infirme la thèse d’une « communauté musulmane » : « Si Dieu avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté » (Sourate al-Ma’ida [La table], 48). Enfin, l’auteur note que les trois principaux alliés des Etats-Unis dans la région sont des Etats fondés sur la religion : l’Arabie saoudite, Israël et le Pakistan.
3/ La paix israélo-égyptienne
La deuxième moitié de la décennie 1970 constitue en effet une période particulièrement douloureuse pour le monde arabe. Cela commence avec la guerre du Liban qui éclate en 1975. En 1978, le président égyptien Sadate, qui s’éloigne peu à peu de Moscou, signe les Accords de Camp David. Ces accords aboutissent à une normalisation des relations entre l’Egypte et Israël, ce qui conduit à une exclusion de l’Egypte de la Ligue des Etats arabes.
4/La guerre d’Afghanistan
Alors que les relations entre le monde arabe et l’Afghanistan sont quasi-inexistantes, un grand nombre de jeunes décident d’aller affronter l’armée soviétique au nom de cette prétendue identité musulmane évoquée plus haut. Georges Corm note ainsi que la cause afghane, largement mythifiée par l’idée d’opposition à l’athéisme communiste, se retrouve privilégiée par rapport à une cause authentiquement arabe : la cause palestinienne.
5/ La Révolution islamique en Iran
Phagocytée par les islamistes, la Révolution iranienne surprend. Elle surprend notamment parce qu’elle aboutit à une République islamique qui développe un nouveau vocabulaire anti-impérialiste. Un vocabulaire anti-impérialiste islamisé qui divise le monde arabe. La Syrie de Hafez al-Assad –lâchée par l’Egypte et menacée par ses voisins israélien, turc et irakien– se laisse volontiers séduire par Téhéran. Une autre puissance arabe décide, quant à elle, de passer à l’offensive : l’Irak de Saddam Hussein. Commence alors pour la deuxième puissance arabe un effondrement aggravé par la guerre du Koweït.
6/ Les Accords d’Oslo
C’est la grande naïveté d’une partie de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) que veut souligner ici Georges Corm. Il rappelle le rôle déterminant de l’image –notamment la fameuse poignée de main entre Arafat et Rabin– au détriment d’une réalité politique largement défavorable aux Palestiniens.
7/ Le 11 septembre 2001
Avec les attentats du 11 septembre, un homo islamicus est mis en avant. Georges Corm rappelle notamment le rôle joué par al-Jazeera dans cette mise en avant. La prophétie de George W. Bush concernant l’établissement d’un « califat » finit par se réaliser avec l’Etat islamique.
8/Les révoltes populaires arabes
Ici, Georges Corm rappelle trois éléments importants. D’abord, il rappelle que les révoltes populaires ont servi dans bien des cas de tremplin à des interventions diverses, parfois arabes, relayées par des milices qui brandissent anarchiquement l’étendard de l’islam. Ensuite, il rappelle l’importance du phénomène contre-révolutionnaire (en Egypte, au Bahreïn, etc.), appuyé par l’Arabie saoudite. Enfin, l’auteur rappelle que les revendications politiques ne doivent pas faire oublier les revendications socioéconomiques.
S’il ne figure pas parmi ces huit épisodes, il est un événement majeur que Georges Corm garde bien en tête : l’invasion israélienne du Liban en 1982. Tandis qu’il venait de terminer la première version du Proche-Orient éclaté, Georges Corm ne pouvait percevoir les chars israéliens à Beyrouth que comme une incommensurable humiliation pour un monde arabe frappé dans l’une de ses grandes capitales culturelles. Un monde arabe captivé par la victoire de l’équipe algérienne de football face à l’Allemagne lors du Mondial.
En guise de conclusion, l’auteur de La question religieuse au XXIe siècle continue de militer pour une analyse profane des événements qui secouent le monde arabe. L’essentialisation, l’instrumentalisation du religieux et l’émiettement des territoires sont les maux à combattre.
Adlene Mohammedi
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