Sujet peu traité, l’observateur extérieur a de la Mauritanie une image souvent floue. Araprism vous propose le billet sans concession d’un acteur présent sur le territoire mauritanien.
La Mauritanie, pays de plus d’1 million de km2 et de bientôt 4 millions d’habitants, est depuis plusieurs siècles une zone de contact entre des populations arabo-berbères et négro-africaines. Bien que le métissage et les liens religieux, culturels et commerciaux fussent fréquents, ils n’ont jamais permis de créer une société allant au-delà de communautés -sauf entre Arabes et Berbères- clairement établies et entretenant des liens hiérarchiques plus ou moins clairs en fonction des époques. L’histoire de la société mauritanienne et de ses dynamiques est trop complexe pour être explicitée de manière exhaustive à travers un article ; la vulgarisation est donc un mal nécessaire pour en connaître les grandes lignes et comprendre la situation actuelle.
Les Blancs, vainqueurs, choisissent leur côté
D’abord dominé par des civilisations négro-africaines telles que l’Empire du Ghana (300-1240) ou l’Empire du Mali (1230-1545), pour ne citer que ces deux grands ensembles, l’espace mauritanien est peu à peu influencé et infiltré par des Berbères Sanhadja (Iznagen) nomades le long des routes commerciales, notamment dans le but de diffuser la religion musulmane. A partir du XIIe siècle, à leur apogée, les Almoravides étendent leur territoire de l’Espagne à la Mauritanie actuelles en repoussant progressivement vers le sud leurs puissants rivaux continentaux, malgré des incursions régulières des Peulhs, encore épargnés pour un temps par le rouleau compresseur européen.
Les colonisateurs, dans un premier temps, viendront d’ailleurs. En effet, au XVe siècle, des Arabes, et notamment les Béni Hassan originaires de Haute-Egypte, combattent les Berbères et finissent par accaparer le pouvoir et diffuser leur culture. Dès lors, bien que minoritaires, ils imposent progressivement leur langue au pays (le hassaniyya) et englobent les Berbères par le biais d’alliances et de mariages : ces différentes tribus entremêlées seront plus tard regroupées arbitrairement sous le terme de « Maures blancs », bien qu’une différenciation –parfois maladroite– entre descendants de Berbères et descendants d’Arabes restera fortement marquée au cours des siècles suivants. Par ailleurs, ils disposent d’esclaves qu’ils libéreront ou non par la suite : les Maures noirs (dits Haratins, en cas d’affranchissement). Et généralement au sud du pays, des ethnies noires (Wolofs, Peulhs, Soninkés majoritairement), bien que soumises, garderont une relative autonomie.
Enfin, la colonisation française, timide dans la zone, ne changera pas fondamentalement les rapports de force au XXe siècle en s’appuyant sur les dominants et se terminera en 1960 par l’indépendance du pays après des négociations avec ces derniers. Par ailleurs, la définition des frontières nationales divisera et affaiblira durablement les ethnies noires, particulièrement entre le Sénégal, la Mauritanie et le Mali.
En dépit du caractère simplifié, voire simpliste, de cette brève description historique –insultante, diront les historiens passionnés–, ces quelques clés sont nécessaires pour disposer d’une idée d’ensemble de l’histoire des communautés mauritaniennes qui débouche aujourd’hui et depuis l’indépendance sur la domination d’une minorité blanche sur une majorité noire.
Tous les pions noirs débordés par quelques rois
Malgré la difficulté d’établir des statistiques ethniques fiables, les Maures blancs en 2014 sont estimés à moins de 30% de la population mauritanienne, les Maures noirs à environ 40% et les autres communautés négro-africaines à plus de 30%.
Il est certes grotesque de regrouper les Noirs dans une seule et unique catégorie, puisque les communautés ne démontrent pas de sentiment d’appartenance commun. En revanche, il n’est pas totalement ubuesque de réunir les Blancs, organisés en tribus, conscients de leur caractère minoritaire et de leur place privilégiée dans la hiérarchie du pays avant et après l’indépendance. Effectivement, en contrôlant l’Etat, et naturellement l’armée et l’économie, le pouvoir traite en position de force avec les communautés négro-africaines du pays, tout en exerçant une implacable pression sur les (leurs ?) Maures noirs, de plus en plus organisés pour obtenir des droits. Logiquement, la progressive politisation de cette communauté débouche sur des tensions et des répressions. Par exemple, la récente incarcération de Biram ould Dah ould Abeid, figure emblématique et militant des droits de l’homme disposant de nombreux liens à l’étranger, est la preuve de la radicalisation des esprits entre les Maures blancs et leurs anciens ou actuels esclaves. En effet, la Mauritanie est toujours en tête des pays où se perpétue l’esclavage, selon la fondation australienne Walk Free (4% de la population d’après ses estimations), même si les chiffres sont encore une fois contestés et contestables.
Néanmoins, une chose est sûre : les inégalités sont palpables, pour ne pas dire nettes, lorsque l’on observe la rue mauritanienne. Objectivement, les Blancs sont majoritairement fortunés et bien intégrés alors qu’une majorité de Noirs (particulièrement les Maures noirs) est extrêmement pauvre et mis au ban de la société. Cette domination est légitimée en privé à partir d’explications racialistes, tandis que le sujet demeure tabou en public. Comme dans toute société où l’inégalité sociale se comprend à travers le prisme de la question raciale, l’explosion –favorable ou défavorable au régime– est inévitable si la classe dominante s’y prend trop tard pour réformer le système. L’histoire africaine nous apprend malheureusement que la transition est rarement pacifique, même avec un Mandela, et qu’elle débouche souvent sur des drames, comme en Algérie ou au Zimbabwe.
Echec et mat grâce aux cavaliers du Sahara ?
La domination totale des Blancs d’ascendance européenne en Afrique du Sud a été prolongée par la lutte contre le communisme, en pleine période de guerre froide. La domination presque totale des Blancs arabo-berbères de Mauritanie est prolongée et le sera certainement encore longtemps par la lutte contre le terrorisme. Autrement dit, les Maures blancs ont compris l’importance de collaborer avec l’Occident dans sa politique dans la région. L’armée française dispose d’une base à Atar dans le cadre de l’opération Barkhane, le renseignement américain est omniprésent et l’armée mauritanienne en état d’alerte perpétuel. De surcroît, des liens sont établis avec les groupes armés de la région pour des négociations secrètes. Le pouvoir s’est ainsi posé en médiateur actif dans la région et en interlocuteur privilégié aux yeux des capitales occidentales.
Il serait donc risqué, pour d’évidentes raisons politiques et sécuritaires, de fragiliser le régime en place en se mêlant d’affaires internes. Les alertes des ONG et des organisations internationales, ouvertes aux doléances des représentants des Maures noirs –dont la représentativité reste par ailleurs à prouver–, sont donc inaudibles dans les chancelleries occidentales. Le message est clair : ce qui se passe en Mauritanie concerne les Mauritaniens, et par voie de conséquence les Maures blancs. Ainsi, puisque la situation dans le Sahara risque de perdurer, les hypothétiques changements politiques en Mauritanie se dérouleront sans influence extérieure. Le statu quo sera donc fatalement prolongé, sauf si le pouvoir en place initie seul une réelle politique d’intégration des Maures noirs et des autres communautés.
Or, rien ne presse. Ould Mohamed Abdel Aziz, le président de la République islamique de Mauritanie, est un président en exercice de l’Union africaine plébiscité par la plupart des leaders africains. Parallèlement, il n’y a plus d’attentats ou d’enlèvements depuis des années sur son territoire. Les autorités du pays redoublent en effet d’efforts contre les groupes mafieux du Sahara, disposant de nombreux contacts et d’informations indispensables. De surcroît, les hôtels de Las Palmas affichent complet grâce aux Maures blancs et les 4×4 de luxe se vendent très bien à Nouakchott. Tout va bien donc au « pays au million de poètes ». La preuve en est qu’à la célébration de l’Indépendance du 28 novembre dernier, les Noirs étaient extrêmement nombreux à brandir le drapeau mauritanien dans les rues face aux caméras, un large sourire aux lèvres. Oui, le soleil brille à Nouakchott, la température est de 25° et un petit vent caresse les peaux noires et blanches sans discrimination.
Quousque tandem, Mauritania ?
Abdel Malik Shamil
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