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Etudes, Politique

Djibouti : le cheval de Troie des grandes puissances ?

La République de Djibouti (جمهورية جيبوتي) est un petit pays de la Corne de l’Afrique, situé sur la côte ouest du débouché méridional de la mer Rouge, entre la Somalie, l’Erythrée et l’Ethiopie. 149ème État au monde par sa superficie, avec une population n’atteignant pas encore le million d’habitants, il est parvenu à se faire une place non négligeable dans une région où transite 40% du trafic maritime mondial. Sa spécificité ? L’accueil des armées étrangères souhaitant se positionner pour conserver leur zone d’influence en Afrique –proche de la péninsule arabique– ou l’agrandir. 

L’histoire contemporaine de Djibouti est largement marquée par l’implantation de trois puissances. Après l’installation de la puissance coloniale française, le début du XXIe siècle est celui de « l’hyperpuissance » américaine et, de plus en plus, des appétits chinois. Trois grandes étapes que nous relatons succinctement en trois temps.

La France : l’ancienne puissance coloniale qui perd du terrain

Les Français s’installent par étapes successives pendant la seconde moitié du XIXe siècle, à la suite de divers traités et négociations, sur le territoire entourant le golfe de Tadjourah (la Côte française des Somalis). L’objectif est alors, dans le cadre de l’expansion française vers l’Indochine et Madagascar, de disposer d’une escale de ravitaillement pour les navires. A cette fin, le port de Djibouti est créé en 1888 et se développe rapidement, notamment grâce à l’inauguration de la voie ferrée reliant la ville à Addis-Abeba en 1917.

Les troupes françaises protègent donc naturellement leur colonie, qui devient à partir de 1967 le Territoire français des Afars et des Issas jusqu’à son indépendance en 1977 en tant que République de Djibouti. Dès lors, la France et Djibouti sont liés par des accords de coopération, la dernier en date ayant été signé le 21 décembre 2011.

Avec 1350 militaires déployés en 2017 (contre 2000 en 2014), soit leur plus gros contingent en Afrique, les Forces françaises stationnées à Djibouti s’articulent autour d’une base navale, d’une base aérienne, d’un centre d’entraînement au combat, d’un détachement d’aviation légère et d’un régiment interarmes d’outre-mer.  Cette plate-forme militaire sur la façade est de l’Afrique permet d’accueillir et de projeter rapidement des forces lors de crises dans la sous-région, vers l’océan Indien ou le Moyen-Orient.

Paris demeure certes un acteur majeur dans le pays mais se désengage progressivement en laissant la place à d’autres puissances, à commencer par les États-Unis qui payent 60 millions de dollars par an à l’État djiboutien par assurer leur présence.

La domination du géant américain secondé par ses alliés

C’est la lutte contre le terrorisme, dans le  cadre de l’opération Enduring Freedom engagée après les attentats du 11 septembre 2001, qui a amené les Américains à Djibouti. En effet, dès 2002, le Camp Lemonnier –jadis français– est devenu la seule base permanente américaine sur le sol africain afin de lutter contre les Shebab en Somalie et al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Aujourd’hui, 4000 soldats américains sont présents à Djibouti, qui est par ailleurs devenu un centre du dispositif naval contre la piraterie au large des côtes somaliennes. Ces actions en mer qui voient collaborer trois coalitions (Atalante [Union européenne], OTAN et Combined Maritime Force 151 [multinationale]) ont entraîné la venue de nombreuses marines nationales, surtout européennes. De surcroît, le pays est depuis 2012 le siège de la mission européenne EUCAP Nestor chargée de renforcer l’appareil judiciaire et maritime des États de la région, à commencer par la Somalie.

Un autre acteur allié aux États-Unis est en train de gagner du terrain dans la zone : le Japon. Initialement hébergées par les installations américaines, les troupes japonaises (180 hommes) disposent de leur base depuis 2011 contre un loyer de 30 millions de dollars par an. Cette dernière est en extension depuis afin de protéger les navires en transit, mais également pour contrecarrer les ambitions du concurrent chinois dans la région.

Les appétits pékinois

La Chine s’assume dorénavant comme une puissance militaire en Afrique, notamment par sa participation massive aux actions des Nations unies sur le continent. A Djibouti, les autorités chinoises ont passé un accord avec le président Ismaïl Omar Guelleh pour la construction d’une base militaire contre 20 millions de dollars de loyer par an. En cours de construction, la base en question devrait compter environ 3000 soldats et accueillera les navires de guerre chinois. Par ailleurs, l’Empire du Milieu développe dans le pays le port international de Doraleh et son terminal pétrolier, ainsi que des axes ferroviaires, dont la nouvelle ligne Djibouti-Addis-Abeba –entrée en activité début janvier 2017–, vitale pour l’économie éthiopienne.  Par conséquent, même si la Chine est officiellement engagée dans la lutte contre la piraterie, elle cherche avant tout à sécuriser ses importants intérêts commerciaux et stratégiques (accès aux matières premières tout particulièrement) en tant que premier partenaire économique de l’Afrique. Quant à la base navale, qui sera vraisemblablement opérationnelle cette année, elle entre dans le cadre de la « nouvelle route de la soie », c’est-à-dire la mise en place de comptoirs et de ports en eau profonde reliant la Chine au continent.

En dépit d’indicateurs économiques positifs (dont une croissance de plus de 7%), la population du petit État-caserne ne profite pas réellement des revenus découlant de l’accueil de garnisons étrangères, puisque 42% de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint les 60%. La grande gagnante reste la partie de l’élite alliée au président djiboutien, réélu plus ou moins démocratiquement depuis 1999. Celui-ci a bien compris deux choses centrales : les puissances « occidentales » sont prioritairement attachées à la stabilité du pays (bien plus qu’à la démocratie) et elles s’inquiètent de voir le petit pays se blottir sous les ailes du dragon chinois.

Renaud Artoux

Discussion

3 réflexions sur “Djibouti : le cheval de Troie des grandes puissances ?

  1. Super article! Court, précis et informatif.

    Publié par Cargo d'équerre | 14 mars 2017, 18 h 01 min
  2. Un article bien rédigé et clair. Merci

    Publié par chakatouri83 | 25 mars 2017, 11 h 41 min

Rétroliens/Pings

  1. Pingback: Djibouti à tout prix… – La Gazette de Djibouti - 25 mars 2017

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