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Politique

Le Sommet arabe d’Alger n’a pas eu lieu

Au début du mois de novembre, Alger a accueilli le 31ème sommet de la Ligue arabe, le premier depuis trois ans. À l’issue du sommet, une « Déclaration d’Alger » comme souvent à la fois vague et ambitieuse a été lue. Le pouvoir algérien y voit une « réussite », tandis que d’autres y voient un « échec ». Une chose est sûre : les appréciations sont d’ordre communicationnel plutôt que diplomatique.

Femme flûtiste, Baya

Commentant la guerre du Golfe au début de l’année 1991 et s’inspirant du fameux titre de Jean Giraudoux – La guerre de Troie n’aura pas lieu –, Jean Baudrillard publie dans le journal Libération un article provocateur intitulé « La Guerre du Golfe n’a pas eu lieu ». Théoricien de la « mort du réel », il y écrit : « Le drame réel, la guerre réelle, nous n’en avons plus ni le goût ni le besoin. Ce qu’il nous faut, c’est la saveur aphrodisiaque de la multiplication du faux […] ». Pour Baudrillard, si « la guerre du Golfe n’a pas eu lieu », c’est parce qu’elle semble ne s’être déroulée que sur des écrans, essentiellement rythmée par des envoyés spéciaux.

Évidemment, le texte de Jean Baudrillard évoque bien d’autres aspects et l’analogie est aussi tentante qu’audacieuse. Mais il est possible d’affirmer que le Sommet d’Alger n’a pas eu lieu parce qu’il s’est surtout déployé dans des médias algériens d’une complaisance et d’un enthousiasme débordants. À l’issue d’un non-événement qu’elle a savouré les yeux fermés, une armée de journalistes s’est empressée de multiplier les dithyrambes. Le Sommet d’Alger est ainsi traité comme un concert réussi : presque pas d’anicroche, du public, une bonne sonorisation …

On retrouve cette superficialité jusque dans les rares critiques : l’absence de plusieurs monarques. À la décharge de tout ce beau monde, rappelons qu’un sommet international se résume la plupart du temps à une opération de communication.

Une affaire de communication

Au-delà de ce sommet en particulier, il ne faut sans doute pas trop attendre de ce type d’événements. D’abord, on est en effet bien obligé de constater l’absence de nombreux dirigeants arabes : le roi marocain Mohammed VI, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le roi jordanien Abdallah, le président émirien Mohammed ben Zayed, le sultan d’Oman, l’Émir du Koweït …

Ensuite, on n’a assisté à aucun tournant réel : pas de retour de la Syrie dans la Ligue arabe comme il en est question depuis des années (expulser et intégrer étant les principales prérogatives de la Ligue arabe), pas de grande réconciliation algéro-marocaine annoncée, pas de prise de position ferme sur la politique étrangère de tel ou tel État … En somme, c’est un sommet assez lisse, sans aspérités.

Enfin, il s’agit d’une opération de communication où se mêlent ambitions démesurées (participer à la définition des contours d’un « nouvel ordre mondial »), interprétations individuelles (les Marocains semblent considérer que la déclaration finale conforte leur politique, notamment en ce qui concerne la non-ingérence, sans doute associée ici à un blanc-seing imaginaire sur le Sahara) et considérations générales.

Tout cela n’est pas nouveau, cela dit. Un tel sommet, c’est avant tout de la communication. Mais pas tant une communication en direction des opinions publiques (souvent indifférentes, même s’il est sans doute question ici de flatter l’opinion algérienne) qu’une opération qui vise les États eux-mêmes et les observateurs.

L’exemple le plus parlant est donné par le ministre algérien des Affaires étrangères, quand il est question de l’éventuelle « réforme » de la Ligue arabe. Il va jusqu’à évoquer « l’importance de la société civile » dans les relations interarabes. Comme si cette « société civile » devait être muselée, neutralisée à l’intérieur (répression des opinions dissidentes) et valorisée dans un vague discours de politique étrangère.

Des relations interarabes souvent exécrables

Le pouvoir algérien a beau utiliser une telle plateforme comme source de légitimité à l’échelle du monde arabe (là où sa légitimité intérieure a été ébranlée), les pays du Golfe – que leurs principaux dirigeants fassent le déplacement ou non – conservent une certaine prépondérance dans la région. En témoigne le « soutien au Gouvernement légitime du Yémen » [soutenu par Riyad] dans la déclaration finale du sommet.

Outre ce déplacement du centre de gravité – perceptible depuis des décennies –, les relations interarabes se caractérisent surtout par des divisions et des tensions récurrentes. Le Printemps arabe (2010-2011) et les années suivantes ont révélé une configuration géopolitique où des divergences manifestes entre pays arabes étaient observables et à toutes les échelles : rappelons la crise entre le Qatar et ses voisins du Golfe, entre le Qatar et l’Égypte d’Abdelfattah al-Sissi, la mise au ban du pouvoir syrien, les différences en termes de relations avec les puissances moyen-orientales non-arabes (la Turquie, l’Iran, Israël …), les antagonismes relatifs au sort de la Libye … Les exemples ne manquent pas. Pourtant, les soulèvements populaires qui ont secoué l’ensemble du monde arabe tendaient à offrir l’image d’un sort commun et d’une forme de solidarité entre les populations concernées.

Ces dernières années, voire ces derniers mois, on a pu constater un certain nombre de rapprochements : une quasi réhabilitation du pouvoir syrien, une réconciliation qataro-saoudienne et qataro-égyptienne, une accalmie en Libye … Mais il faut bien avouer que les objets de dissensions sont toujours là : les normalisations avec Israël sont loin de faire l’unanimité dans le monde arabe, les relations algéro-marocaines ont connu une rapide détérioration et même des pays aussi proches que l’Arabie saoudite et les Émirats manifestent parfois des stratégies et des intérêts divergents.

Finalement, c’est la guerre russe en Ukraine qui offre l’occasion d’une convergence entre les pays arabes. Au-delà de l’attitude de l’OPEP (baisse de la production de pétrole, en accord avec la Russie), les pays arabes – du Maroc au Golfe, en passant par l’Algérie et l’Égypte –, indépendamment de l’état de leurs relations avec Washington, ont décidé de ne pas tourner le dos à la Russie.

Un pseudo-consensus sur la question palestinienne

Le « soutien absolu aux droits inaliénables du peuple palestinien » exprimé à Alger (et ailleurs) relève davantage de l’autosuggestion communicationnelle que du consensus diplomatique. Cela permet d’entretenir auprès des opinions arabes l’illusion d’un soutien permanent à la cause palestinienne. De ce point de vue, chacun voit midi à sa porte. Même ceux qui ont « normalisé » avec Israël considèrent qu’ils ne sont pas moins légitimes que les autres dans ce dossier.

Les pays arabes répètent toujours que la question palestinienne est centrale. Mais concrètement, cela ne dit rien de la nature du soutien apporté aux Palestiniens. Certes, on réclame la fin du blocus imposé à Gaza. Mais dans les faits, le message envoyé aux Israéliens dans cette déclaration n’est pas celui envoyé par les États individuellement : quand le Maroc et les Émirats décident d’entretenir des relations diplomatiques avec Israël, celui-ci est davantage conforté dans sa politique que mis sous pression.

On a affaire à des incantations destinées à se rassurer. Il en est de même sur les autres dossiers. S’agissant de la Libye, on parle de mettre « un terme à la crise » et d’organiser des « élections dans les plus brefs délais », mais l’Égypte ne reconnaît pas pour autant la légitimité du Premier ministre Abdelhamid Dbeibah [que le Parlement a tenté d’évincer au profit de Fathi Bachagha]. C’est souvent dans le cadre d’un face à face que les pays arabes s’affrontent ou s’accordent. Sur la Libye, l’Égypte attend probablement plus d’un dialogue bilatéral avec le Qatar que d’une discussion multilatérale où elle peut paraître minoritaire, par exemple.

Les dirigeants israéliens sont précisément conscients depuis des décennies de l’intérêt de miser sur les cadres bilatéraux au détriment des instances multilatérales, ce qui est bien sûr le meilleur moyen de noyer la question palestinienne – sacrifiée dans les relations avec Israël et avec Washington et érigée en étendard quand l’événement s’y prête et dans la mesure où cela n’implique rien de contraignant.

Adlene Mohammedi

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